- Radio. Graphie en co-édition avecLe jouet enragé, sortait son premier CD audio en janvier 2012.
Texte de présentation et entretiens avec Sergio Caceres du Jouet enragé.
À la librairie Lady Long Solo (38 rue Keller, dans le 11ème à Paris) se tissent des discussions et naissent des camaraderies, des liens, des solidarités… C’est là que nous avons rencontré Maïssoun, artiste du son qui anime le site Radio.Graphie. Au fil des bavardages, une complicité est née – chose inévitable dans cette librairie à la taille réduite mais à l’espace incommensurable.
Nous avons trouvé qu’il serait intéressant de soutenir son intention de publier une collection de son travail sur format cd. Pour le Jouet enragé, le son et le disque sont des formats nouveaux, ou plutôt, des supports nouveaux, car au fond il s’agit toujours de parole, de récits, de morceaux de réalité qui dérangent, qui mobilisent, et qui parfois donnent du plaisir.
Aujourd’hui le travail est fait et le disque est sorti, publié et mise à disposition du public.
Dans ce Volume 1 de Radio.Graphie, on fait des rencontres diverses. On y retrouve par exemple les sans papiers et leur longue marche/démarche, physique et administrative dans le pays des droits de l’homme et de l’asile ; au moment où ils sont expulsés par la CGT de la bourse de travail, ou encore dans cet épique manifestation de Paris à Nice à pied, allant interpeller les chefs d’états africains, complices de leur homologue français dans la politique d’expulsion des migrants.
Particulièrement frappant est le reportage à la préfecture de Bobigny, dans la file d’attente pour la régularisation (ou non) des étrangers. La métaphore kafkaïenne d’une administration qui fait subir l’arbitraire au pauvre citoyen est largement dépassé… Ici on ne parle même pas de citoyens, ces étrangers n’ayant pas encore le droit de citoyenneté.
À la fin du disque, on fait la rencontre de Maïssoun, de sa voix, de ses mots, de sa sensibilité qui traîne, qui envahit l’ambiance… Mais laissons à vos oreilles le soin de découvrir par elles-mêmes le contenu de cet premier volume de Radio.Graphie.
La parole est à l’artiste qui nous raconte sa démarche sonore, mais cette fois-ci par écrit.
Le Jouet enragé : Quand as-tu commencé à travailler avec le son?
Maïssoun : Petite, dés que j’ai eu un magnétophone. J’ai commencé par enregistrer des moments en famille, ou ma propre voix, enfermée seule dans ma chambre. Je jouais.
Beaucoup plus tard, je me suis acheté un minidisque et là, j’enregistrais les sons de mon environnement, du bruit du marché Saint-Michel à Bordeaux au bruit de l’océan, de la méditerranée aux klaxons de Beyrouth, aux oiseaux, aux grillons de nuit de chez mon grand-père de Dordogne, aux percussions rituelles de l’Océan indien. J’emportais ainsi un environnement, un moment, une photographie sonore avec moi. Je trouvais magique ce micro qui capte au-delà de nos oreilles distraites. Pas encore d’interviews.
J’enregistrais aussi des improvisations de guitare et chant, des lectures de poésies sur fond musical, des contes improvisés… On jouait.
Je m’en servais aussi pour mes démarches administratives, en micro caché. C’était ma façon d’affronter les assistants sociaux, les guichetiers de la Sécu, d’Edf, etc… Cela déviait la violence de la situation en me mettant dans une posture active et non passive.
Enregistrer, c’est à la fois capter du réel pour laisser trace de notre époque, de nos vies et retenir le moment présent. C’est également un acte.
Pour réaliser de vrais montages, il a fallu attendre d’avoir un ordinateur. C’est en reprenant des études en anthropologie que l’ordinateur s’est imposé chez moi.
Le premier document monté a été enregistré lors d’une occupation à Bordeaux… il y a dix ans. C’était un lieu insolite : une ancienne faculté de médecine transformée en bourse du travail, puis à moitié abandonnée, et vendue par la mairie. Une résistance à cette vente a, pour une courte période, donné naissance à un espace autogéré, avec toute la vitalité et la créativité que cela entraînait. Alors là, s’est dessinée non seulement l’envie de laisser une trace de cette expérience collective, mais également d’y mêler une écriture plus personnelle. J’avais pour complice un ami extravagant qui me faisait la visite guidée du « château ».
— Pourquoi avoir choisi le son comme moyen d’expression ou de création?
— Le son, c’est la vie, le vivant… une trace vive qui laisse de la place. Le son c’est aussi et avant tout pour moi, la parole. La parole que l’on n’entend pas si on ne va pas l’interroger. C’est donc forcément une rencontre avec les autres. J’ai fait de l’anthropologie pour les mêmes raisons, et continué à enregistrer les gens qui me parlaient, me racontaient leur vie, leur parcours migratoire (mon thème d’étude est également un thème récurrent de mes montages sonores). Capter la parole échangée, c’est croire au fait que l’on peut se comprendre, se dire. Et pas uniquement dans l’entre soi ou dans des relations prédéfinies.
Et puis, l’univers sonore crée une poétique en soi, comme je le disais plus haut, il laisse la place à l’imaginaire. Je suis également attirée par ce travail de création sonore improvisée…
— Considères-tu ton travail comme de la création artistique?
—Il s’agit bien de création et d’expression, jusque dans les sujets choisis. Retranscrire des paroles qui me touchent, me bouleversent, a été l’élément moteur. Je pourrais évoquer l’art de la parole. Bien souvent je suis surprise par l’intelligence des gens dans leur usage des mots, du rythme, du son … Cette intelligence, je veux la montrer, pour apprendre, pour qu’on la reconnaisse. Après, je ne pense pas que l’on puisse parler de création artistique dans la mise en forme des montages, à part peut-être pour les Essais du dimanche et Pas à pas, où, à partir de mes propres improvisations, je mixe des sons…
— Où te places-tu, plutôt dans le champ journalistique ou sociologique?
— Ce n’est pas vraiment un travail journalistique ni sociologique. Bien que l’objet comme on dit en sociologie ou le sujet comme on dit chez les journalistes puisse être le même. Et puis il y a une grande part d’improvisation, que j’érige presque en méthode ! Afin de laisser de la place à la rencontre si elle est possible.
Mais il est difficile de faire des généralités parce que mon travail change selon les contextes. Sur un trottoir, les Sans-papières me confient leurs difficultés, c’est un échange intense et de courte durée. Il y aussi l’urgence de certaines situations, comme l’Expulsion de la bourse du travail, la volonté de dénoncer des faits, comme la File d’attente à la préfecture de Bobigny. Très différent fut mon deuxième montage Deux Beyrouthines, réalisé avec deux amies libanaises sur le thème des guerres… Ou encore le montage de mots lâchés et mixés comme dans Pas à pas.
— Peut-on parler de documents sonores, de travail de documentariste?
— Oui, je parle moi, de documents sonores, tout en ne sachant pas ce qu’est un travail de documentariste. Le principal pour moi, c’est de garder une liberté d’explorer.
— Tu as choisi comme sujet les sans-papiers, est-ce un parti pris esthétique, politique, humain, social ? Tout à la fois ?
— J’ai commencé à aborder le sujet par le biais d’un travail de recherche jamais terminé sur la clandestinité. Lorsque je suis arrivée à Paris, les clandestins étaient des sans-papiers, qui s’organisaient et luttaient, ils sortaient de la clandestinité. Tendre le micro m’a semblé incontournable.
C’était politique, éminemment politique, pour moi le plus grand mouvement social que je connaisse. Je voulais que tout le monde se rende compte de ce qu’ils font. Et le parti pris politique n’enlève rien aux autres aspects, sociaux, humains ou même esthétiques. C’est un parti pris contre une politique et un témoignage de la possibilité de s’organiser, donc de s’emparer de la politique. Les squatteurs en sont un tout autre exemple.
— Y a-t-il une histoire que tu essaies de raconter par la voix des autres ?
— Oui bien sûr.
— Parle-nous de l’idée selon laquelle est organisé le disque. Y a-t-il une linéarité à suivre? Peut-on choisir les morceaux aléatoirement ?
— On peut choisir les morceaux aléatoirement bien sûr. Le choix n’a pas été évident. J’ai mis les documents les plus travaillés au niveau du montage. Sur le site on peut trouver d’autres documents, des « conversations » comme Ma Barif’, discussions entre femmes au sud du Liban, que j’aime beaucoup…
— Quelle est ta position face aux voix des autres ?
— J’y suis sensible, et plus encore lorsqu’elles sont amplifiées dans mon casque. La voix, son épaisseur, son rythme, le fait même qu’elle soit gravée m’émeut…
— Ton travail est-il marqué par des influences particulières ?
—Peut-être pas des influences, mais surtout des films qui m’ont marqués, comme les films de cinéma-vérité de Jean Rouch, Chroniques d’un été par exemple ; les documentaires de Raymond Depardon (sur la police, le tribunal, les urgences…), Galères de femmes de Jean-Michel Carré, ou encore le film sur les fanfares de Johan van der Keuken…
Accéder aux morceaux :
1-J’aime partout me sentir libre -5,59
Réalisé lors de la marche des sans-papiers de Paris à Nice : Discussion sérieuse, discours enflammé, et concert partagé.
2- File d’attente de la préfecture de Bobigny -20,32
Témoignages nocturnes dans la longue file d’attente qui se forme devant « l’accueil des étrangers ».
Les sans-papières nous parlent de leur condition de vie et de leur lutte au quotidien.
4- Expulsion de la bourse du travail -10,16
La coordination des sans-papiers de Paris se fait expulser de la bourse du travail qu’ils occupaient depuis plus d’un an.
A Beyrouth, deux amies croisent leur regard sur la ville et les guerres.
Paroles automatiques, improvisations, la suite dans les idées… vagues.
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Cd Audio
Cahier 8 pages
•10 euros
Vous le trouverez à la :
- Librairie Lady long Solo, 38, rue Keller à Paris dans le 11ème arrondissement ou sur le site de celle-ci : ladylongsolo.com
- librairie Publico, 145 rue Amelot 75011 Paris
- Librairie Michèle Firck, Montreuil Croix de Chaveaux.
A Bordeaux :
- La Librairie du Muguet, 7 rue du Muguet 33000 Bordeaux
- “Au petit coin » 31 Place de la Ferme Richemont, 33000 Bordeaux
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